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Denise Minger est une jeune et charmante bloggueuse de 23 ans, jugez donc :

Elle tient le blog Raw Food SOS. Il semblerait qu’elle fut autrefois végétalienne (ou même…végan), très jeune. Récemment elle a viré de bord, et suit une alimentation omnivore crue (crudivorisme qui reste un héritage de sa période véganne). Sa bio est disponible dans sa section About. Elle s’inscrit tout à fait dans une démarche proche des recommandations nutritionnelles de la Weston A. Price Foundation, avec toujours ce côté crudivore mis en avant.
Inconsciemment, ou non, j’ai constaté que de nombreux ex-végans ou ex-végétariens changeaient d’alimentation depuis que la paléosphère ou WAPFsphère ont le vent en poupe : amplification d’internet ou pas, je n’en sais rien, mais il semble que pour rien au monde ces gens ne reviendront vers leur ancienne alimentation : c’est le cas de Daniel Vitalis qui explique sa transformation ici. Ou encore ce blog probablement collectif Let Them Eat Meat, tenu par des personnes qui tiennent à montrer en quoi les végans – plus que les (lacto)végétariens en fait – sont dans le faux, avec des arguments nutritionnels, moraux ou écologiques, dans la veine de Lierre Keith, auteur de The Vegetarian Myth qui fit tant couler d’encre. Le site BeyondVegetarianism (qui date de 1997 tout de même) se situe dans une veine moins controversée. Le fait est que le pas à franchir n’est pas énorme : de nombreux végétariens ont une alimentation saine et naturelle. De fait, il leur suffit d’accepter que l’on puisse manger de la viande d’animaux ayant vécu « humainement », et nourris de manière naturelle (herbe pour les vaches, surtout pas les grains !), sur des pâturages par exemple. L’éthique se transforme, mais ne disparait pas. Il est probable que de nombreux végans tiennent la Weston A. Price Foundation comme leurs pires ennemis. Pourtant, si l’on regarde bien, la différence est ténue, et ne tient qu’aux produits animaux. Les discours sur les aliments transformés, l’usage des pesticides, des OGM, sont communs, par exemple.
Et puis il y en a tant d’autres…cela m’a surpris au début. En y réfléchissant, cela me parait normal. C’est l’ère d’internet, où l’information (bonne comme mauvaise) n’a jamais aussi vite circulé.
Revenons à Denise. Un peu avant l’été 2010, elle se fend d’une série d’articles qui critiquent de manière très pertinente le Rapport Campbell. En clair, son site, peu en vue, devient vite l’attraction du moment.
Qu’a-t-elle fait pour ça ? En fait, elle a mis les mains dans le cambouis. Jeune diplômée, elle a donc en tête tout ce que sa formation a pu lui apporter. De plus, elle a certainement un côté, geek ou nerd, typique des passionnés (je ne fais pas exception à la règle, soit-dit en passant) qui vont au fond des choses. Là, elle a juste voulu en savoir plus sur cette Etude de Chine. Elle s’est donc plongée dans l’exploration des données statistiques brutes, se définissant comme une « data junkie » (junkie des données) selon ses propres termes.
Hé bien…c’est soufflant. Les commentaires de ses articles de juin 2010 stagnent (18, 8, 8 et 19) jusqu’à la parution des données erronées des Tuoli : 45 commentaires (Mysterious Drink Milkers).
Elle réunit tout ça en un premier long article, publié le 7 Juillet 2010 : 583 commentaires ! Enorme buzz, il semble que Denise convainc. Colin Campbell publie une première réponse à cette critique sur son site, et Denise répond illico le 16 Juillet, dans un article très long à nouveau. Campbell répond à nouveau, et là, elle publie un document (aussi disponible en pdf) exposant de manière plus formelle (exit son côté sarcastique) sa critique du Rapport Campbell.
Evidemment, j’ai lu ses articles, les commentaires, écumé le web vegan, et me fit ma propre idée. En fait, j’ai la sensation que Denise ait visé tellement juste, que ses critiques ont eu un impact assez fort. Pour ma part c’est la critique la plus censée que j’ai lu. Les réponses de Campbell m’ont déçu. Et pire encore, les réponses des bloggueurs anonymes, s’en prenant tantôt à l’âge de Denise, à sa « naïveté », à son manque d’expérience, et même à son statut de femme…charmant. D’autres réponses alambiquées existent aussi (dont une avec appel à l’autorité « je suis épidémiologiste et c’est pas comme ça que l’on procède »…sans expliquer réellement sur le fond), mais je n’y ai franchement pas vu de réelles contre argumentation aussi profonde. J’ai même lu une accusation comme quoi elle serait en fait un collectif (impossible qu’elle fasse ça tout seul, vous comprenez !)…ou carrément qu’elle serait payée par l’industrie de la viande…beaucoup de paranoïa.
Elle maitrise la logique, la science et a un certain bagage statistique, personne n’a su la remettre en cause. Et pour cause…elle est allée manipuler les données brutes. Et les chiffres qu’elle manipule sont justes. On a aussi accusé sa méthode…or c’est celle de Campbell : choix de variables à sa guise, corrélations univariées…elle démontre en quoi le travail de Campbell est soit incohérent, soit incomplet, soit myope, soit issu d’une vision trop étroite.
En fait si elle a tort, il faut réussir à le prouver. Et après avoir lu sa critique, c’est pas gagné tellement elle maitrise son sujet. Son étude n’en est pas une, c’est une critique…critique de l’Etude de Chine (Rapport Campbell, donc). Campbell part d’une hypothèse et se sert des données de la vaste Etude de Chine (pas le bouquin final donc), pour former une conclusion pro-végétalienne. Une théorie comme la sienne peut-être démontée en montrant les incohérences des données entre elles, les facteurs confondants, les choix spécieux de l’auteur quand aux données sélectionnées, etc.
Il est probable que ce qui a gêné les partisans des thèses campbelliennes est de voir une jeune fille s’attaquer de manière aussi directe (« les mains dans le cambouis statistique » je vous dis !) à leur maître à penser. Et de voir qu’il a probablement tort. La dissonance cognitive – souvenez-vous…les erreurs des autres – marche à fond. Colin Campbell a passé énormément de temps sur son Rapport, c’est un vénérable scientifique, il a l’âge d’être son grand-père, il a forcément raison, elle doit forcément se tromper quelque part. Bah, pas forcément non. Il a peut-être sous-estimé la force de frappe des gens passionnés par un sujet – ici la nutrition – et voulant faire progresser la vérité et la science. Le site vegan où elle a participé fut une époque, 30 Bananas a Day, a fourni une réponse collective (!). Il y a à boire, et à manger : évidemment on s’autocongratule, j’ai lu ces contre-critiques, et franchement…ils se demandent si elle a lu The China Study, on peut se demander s’ils ont compris le fonds de sa critique (qui n’est pas un étude en soi). Enfin bref, pour se faire son avis, il faut écouter les avis des deux camps oppposés. Denise répond à ses contradicteurs sur le site Give It To Me Raw.
En fait, il s’agit d’une version moderne de David contre Goliath.

Si je devais faire une conclusion de sa critique c’est : « Le Rapport Campbell ne prouve pas que les aliments de provenance animale causent les maladies. D’autres variables sont plus pertinentes, par exemple la farine de blé, et le succès des régimes végétariens s’expliquent par l’abandon de sucres raffinés, blé, huiles végétales, en témoignent les succès des régimes paléolithiques qui ne réduisent pas les produits animaux, bien au contraire ». Tout à coup, cela me semble plus lumineux que de se focaliser sur les aliments d’origine animale. Il faudra alors tester, comme elle le suggère dans sa conclusion, les alimentations végétaliennes complètes contre les alimentations omnivores sans sucre/blé/huiles végétales, histoire de faire apparaitre les potentiels soucis que peuvent causer une alimentation carnée. C’est…une autre paire de manche que de simples études épidémiologiques…
Merci pour cette article
Fd