Suite de l’article Que penser du lait…? (1)
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Jean-Marie un grand ponte de la nutrition en France. Ayant publié de nombreux ouvrages (je recommande chaudement celui sur les oméga-3), et au vu de son CV (oui allez-y cliquez) on peut dire que son avis compte.
Un petit apparté est toutefois utile pour ce qui va suivre : lanutrition.fr (soit…Thierry Souccar, grosso modo) et Jean-Marie Bourre, ce n’était déjà pas une histoire d’amour, jugez par vous-mêmes.
Notons que sa défense des « viandes, charcuteries, graisses animales, fromages » me le rend de prime sympathique (mais pas des féculents, certes) ! Sur ce point Thierry Souccar, malgré une approche paléo (sans doute à la Cordain) garde une appréhension des graisses saturées, ce qui ne semble pas le cas de euh…son « confrère ».
En septembre 2010, il sort un ouvrage assez virulent sur le lait et les laitages de toutes sortes :
Ce livre est très bon, franchement. Vous pouvez y aller, c’est de la bonne crème. L’optique choisie par l’auteur est différente de l’ouvrage de M. Souccar. Le ton est plus encyclopédique au premier abord. Que cela soit l’introduction qui présente les types de laits et de produits laitiers, ou le premier chapitre qui retrace l’histoire et la géographie (brièvement), on y apprend beaucoup. C’est passionnant, clairement. On sent bien qu’il aime ces produits, que derrière le scientifique, il y a aussi le gastronome. L’auteur agrémente cet ouvrage de nombreuses citations, dont une de Brillat-Savarin (La Physiologie du Goût) en introduction :
« Mêlé avec le lait, il donne les crèmes, les blancs-mangers, et autres préparations d’office qui terminent si agréablement un second service, en substituant au goût substantiel des viandes un parfum plus fin et plus éthéré.
Mêlé au café, il en fait ressortir l’arôme. ,
Mêlé au café et au lait, il donne un aliment léger, agréable, facile à se procurer, et qui convient parfaitement à ceux pour qui le travail de cabinet suit immédiatement le déjeuner. Le café au lait plaît aussi souverainement aux dames; mais l’œil clairvoyant de la science a découvert que son usage trop fréquent pouvait leur nuire dans ce qu’elles ont de plus cher… »
Ensuite, le propos général, et là…comment dire…si M. Souccar présentait sa thèse sur le lait, M. Bourre présente quant lui une vraie antithèse (et moi je déblatère des fouthèses). M. Souccar dit noir, M. Bourre dit blanc. Quasi-systématiquement. Je n’ai jamais lu deux avis à la fois aussi bien construits et aussi opposés. Je crois bien que M. Bourre cherche (sinon y arrive ?) à contredire M. Souccar sur tous les points. L’ouvrage de Thierry Souccar était déjà un contrepied à la pensée mainstream concernant le lait. M. Bourre lui, crée le contrepied du contrepied, tout en évitant de sombrer dans la pensée simpliste.
L’ostéoporose contrée par les produits laitiers, l’IGF-1 ne posant pas de soucis, une caséine démystifiée, certains cancers sont même prévenus par les laitages, aucun lien entre syndrôme métabolique et produits laitiers.
Il explique tout ça très bien. Aussi bien que M. Souccar explique l’inverse. Si cela vous amuse, vous prenez chacune des études citées par les gus, et vous essayez d’y démêler le vrai du faux. Estimant que je n’ai pas le temps pour ça, je vais mettre ces sujets entre parenthèses.
De surcroit, un des gros défauts du bouquin est la manie de Jean-Marie Bourre a tirer à boulets rouges sur ceux qui ne pensent pas comme lui. Ainsi, il cite sans nommer les travaux des anti-laits, en sous-entendants que ceux-ci ne sont pas des scientifiques. Alors il est vrai que M. Souccar n’est pas à proprement parler un PHD, c’est seulement un journaliste d’investigation, spécialisé dans la nutrition. Mais M. Souccar ne fait que reprendre les travaux de grands pontes américains de la nutrition, tous universitaires, diplômés et reconnus : Walter Willett, Mark Hegsted ou encore T. Colin Campbell. On ne peut pas vraiment dire qu’il soient des guignols. L’argument d’autorité de Jean-Marie Bourre tombe un peu à plat, et il serait avisé de revoir la virulence de ses propos.
De même ses propos anti-végétariens sont…pénibles. Je ne suis pas végétarien moi-même, mais je respecte les alimentations des autres, surtout que de nombreux végétariens ont une excellente santé. Et il semblerait que cela soit le cas de quelques végans (mais franchement…pas tous, loin de là). M. Bourre n’a pas cette optique de respect et de tolérance, et cela nuit à la qualité du bouquin. Dommage. Surtout pour citer les indiens qui boivent du Lassi, et sont très souvent végétariens…
En revanche, là où M. Bourre fait fort, c’est dans la défense de certains aspects du lait, totalement ignorés, ou rejetés par M. Souccar. Un excellent chapitre sur les graisses des laitages notamment. Les graisses saturées sont envisagées comme un ensemble d’acides gras avec des propriétées différentes : ainsi l’acide butyrique (présent…dans le beurre !) est intéressant pour protéger le colon du cancer, l’acide myristique joue un rôle auprès des protéines au niveau cellulaire. L’acide palmitique, peut toutefois poser problème. Eventuellement. Mais si vous variez votre alimentation, et évitez l’huile de palme ou de coprah, l’acide palmitique ne doit pas poser de problème. Notons que cette phobie de l’acide palmitique est assez récurrente (partagée entre autre par un certain Loren Cordain), mais que tout le monde ne la partage pas, à l’instar de Mary Enig ou de Uffe Ravnskov.
Il en profite pour vanter les mérites d’un oméga-6…c’est l’acide conjugué linoléique (ACL ou CLA en anglais). Cet acide gras, également nommé acide ruménique (en rapport avec le rumen…des ruminants !) a la particularité d’être à la fois trans et cis. Mais attention…c’est un acide gras trans naturel. Rien à voir avec les saloperies industrielles hydrogénées, il éloignerait même le risque de syndrôme métabolique. Il cite également un autre acide gras trans naturel, l’acide vaccénique. M. Bourre rappelle aussi l’importance de l’alimentation de l’animal : une vache nourrie aux graines de lin, donnera des produits laitiers plus équilibrés en oméga-3. Il insiste aussi, par exemple sur le contrôle des antibiotiques donnés aux vaches…en France, car il semblerait que ce contrôle ne soit pas aussi strict ailleurs.
A titre anecdotique, il y a un rappel assez intéressant sur les vitamines et les minéraux (dont le calcium !) des laitages. Plus amusant, un chapitre sur le CO2, le méthane et l’environnement. Apparemment, non les vaches ne sont pas coupables de dégrader l’environnement !
Là où le livre me déçoit, c’est que les laitages sont « obligatoires ». Cela me semble éminément faux, que les laitages présentent des qualités, sans doute, mais en faire un aliment obligé, alors que l’homme a fait sans…et que des peuples à l’heure actuelles vivent sans et se portent comme un charme…il ne faut pas l’oublier !
Au final, et sans aborder l’intégralité du volume, car il vaut mieux le lire, pour se faire son opinion, on reste perplexe. Oh, bien sûr, il ne dit pas n’importe quoi, cela semble en béton. Mais ce que dit M. Souccar aussi. Ni l’un ni l’autre ne semblent réfuter parfaitement le point de vue opposé. J’ai presqu’envie de dire, il est impossible d’envisager une synthèse entre deux points de vue aussi symétriques (et sans perdre son temps à éplucher des études scientifiques…citées par les deux gus en question)
Quand le sage montre la Lune, l’imbécile regarde le doigt.
On va prendre un peu d’altitude, tenter d’élargir le sujet : M. Bourre commence à peine à parler de qualité alimentaire (cf les graines de lin ou les antibiotiques), c’est peut-être vers ça qu’il faut aller.