Fibres, un consensus non mérité ?

Il est, comme ça, quelques opinions qui peuvent choquer votre entourage, si par exemple, vous clamez utiliser de l’huile de palme au quotidien pour cuire votre viande quotidienne, tout en précisant que c’est pour votre santé que vous le faites : un joli strike qui permet de cibler plusieurs types de vierges effarouchées (végéta*iens, crudivores, bobos-bios, et écolos à la petite semaine). Vous pouvez compléter avec quelques saillies bienvenues sur les féculents que vous évitez, les repas que vous sautez (sous forme de jeûne intermittent), les graisses que vous avalez sans prendre de poids…tout autant de mythes déconstruits, dès que l’on penche un peu vers les apports de la science ces dernières années (il suffit de suivre par exemple les blogs paléo américains, ou assimilés). Attention à ne pas trop froisser vos amis, cela serait dommage. Dur, dur la vie de contrarien…

Il est un sujet qu’on pourrait rajouter à cette liste des mythes nutritionnels : les fibres, pilier du régime méditerranéen via les céréales complètes, les légumes, légumineuses, et fruits, et qui font largement consensus. Je me suis intéressé au sujet suite à quelques interrogations et faits :

  • si elles étaient si bonnes, pourquoi on les limite (et avec un certain succès ?) aux patients atteints de certaines colopathies ?
  • les fibres n’ont pas empêché mon paternel de souffrir de constipation, puis de colite ulcéreuse (ou rectocolite hémorragique)
  • l’étude de certains peuples primitifs qui mangeaient peu de fibres (peu, pas zéro), mais ne souffraient pas automatiquement des maladies chroniques inflammatoires de l’intestin.

J’ai donc voulu voir du côté contrarien une source fiable. J’ai donc acheté via Amazon, la version Kindle de Fiber Menace, noter qu’en francophonie, newsoftomorrow en avait parlé il y a 2 mois de cela. L’auteur, Konstantin Monastyrsky, ukrainien d’origine semble être assez iconoclaste, peut-être un lointain cousin (idéologique j’entends) de Petro Dobromylskyj, avec qui il partage ce goût du contrarianisme. Un livre que j’ai eu du mal à lire (vu les sujets abordés) et à digérer…il possède son propre site.

fiberOk. J’ai l’habitude des idées bizarres, mais tout de même, il va pas un peu loin, non seulement, en détruisant le mythes des bonnes fibres, et même en renversant l’opinion que les gens ont des fibres, elles seraient susceptibles de causer les maux qu’elles sont censées corriger, apaiser ou même guérir ? Allons bon, ce livre serait manifestement une vaste blague ?

Bon je vais essayer de résumer les points essentiels de l’ouvrage. Il commence par une introduction de bon aloi sur le prêtre presbytérien Sylvester Graham a qui l’on doit plusieurs types de produits « alimentaires » à son nom (farine notamment, les céréales Golden Grahams je ne suis franchement pas certain !). Ce prêtre prêchait un régime végétarien riche en fibres. Il est mort seul à 57 ans, avec une personalité irritable, chose que Konstantin attribue à son régime, pauvre en protéine, et rendant la glycémie instable. Pourquoi pas, il le prétend, il ne le démontre pas. S’ensuit quelques lignes sur Harvey Kellog, un homme brillant (médecin, chirurgien, entrepreneur, écrivain), un homme qui a promu ses céréales pour lutter contre la masturbation. Cela place le décor : il a envie d’en découdre contre les fibres et marginalement, contre l’Amérique pudibonde.

Sa thèse est assez simple : les fibres, loin de guérir les maux intestinaux (et digestifs par domino), les causent. Mmh…oui c’est cela. Voyons ses principaux arguments :

  • les fibres accélèrent le transit, de sorte qu’il a lieu en 24h (au lieu de 72h)
  • les fibres fermentent dans le colon, étirant les parois de ce dernier, causant ballonnement excessif (et des gaz, bien sûr), et l’acidité excessive favorise l’inflammation intestinale.
  • les fibres font grossir le volume des selles, et les rendent massives, ce qui cause des dommages sur les parois intestinales et rectales, et moult saignements.
  • A terme donc, avec ces dommages, sont susceptibles d’apparaître, syndrome de l’intestin irritable, maladies inflammatoires de l’intestin, maladie de Crohn, polype précancéreux, et enfin, le cancer.

Pour le premier argument, la première chose que vous vous demandez, c’est que c’est plutôt efficace contre la constipation, non ? Hé bien non, vous n’avez pas besoin d’accélérer le transit (la motilité) pour contrecarrer la constipation. Si vous avez besoins des fibres pour aller à la selle, c’est qu’en substance, vous souffrez d’une constipation latente. Mais le dessin complet de sa thèse ne se limite pas à ces explications.

Le facteur hydrique est aussi mis en cause : Konstantin règle ses comptes avec un autre mythe, celui des 8 verres d’eau par jour (Jérémy de Dur à Avaler a aussi traité le sujet brillamment le mois dernier). L’occasion de tacler les régimes Atkins et South Beach, qui préconisent de boire autant d’eau. En fait…il apporte un éclairage nouveau sur le sort du brave Robert Atkins qui est mort obèse (ou « gonflé », selon les versions) et d’une ultime crise cardiaque. Pour lui, rien à voir avec les graisses saturées, il s’agirait d’un déséquilibre électrolytique : une surhydratation conduit à des déséquilibre en minéraux (il se réfère très souvent au Merck Manual, un guide de référence sur internet, par exemple pour le potassium). Selon Konstantin Monastirsky, boire de l’eau n’est pas un moyen de rendre les selles correctement humides, c’est même le contraire : c’est le potassium qui donne l’humidité correcte aux selles. Et boire trop d’eau…draine le potassium. Donc, donc double combo si vous buvez trop en plus de consommer trop de fibres : les selles sont sèches, volumineuses…ce qu’il ne faut absolument pas…! Buvez selon votre soif, ne cherchez pas à remplir l’estomac d’eau, ce qui à son tour, risque de vous assoiffer, et entretenir un cercle vicieux.. Dans le même ordre d’idée, l’exercice physique abdominal pour mieux forcer est contreproductif, peut conduire à un symptôme particulier, le megacolon. Et cela fait pourtant partie de la batterie de recommandations officielles aux USA pour une bonne santé intestinale.

Evidemment, il ne reste pas sur ses explications et donnent les moyens de passer d’une alimentation riche en fibres à une alimentation pauvre en fibres, en prévenant : la transition ne sera pas évidente, surtout pour les personnes qui souffrent de constipation latente. On comprend donc pourquoi de nombreuses personnes restent sur le carreau en tentant un régime Atkins : moins de fibres (en fait, celles des céréales en moins, j’y reviens), et le système digestif d’en bas, fonctionne moins bien : étant habitué à des selles volumineuses, le péristaltisme se fait moins bien, il est trop discret, trop « subtil », et les sujets (re)découvrent la constipation en l’attribuant au manque de fibre du régime. Perdu !

bananesCette transition devra être progressive, devra être pauvre en glucides (quand je vous dit que c’est un cousin de Petro !) et surtout porter une attention particulière aux bactéries : il identifie la dysbiose intestinale, qu’il nomme dysbactériose, comme étant une des causes aggravantes aux troubles intestinaux, conscient que les fibres ne sont pas seules à l’origine de toutes. Il donne quelques pistes pour le potassium qui donne la texture humide aux fèces :  jus de concombre frais, ou des tomates (sans la peau !), suppositoires de glycérine pour lubrifier les passages (canal anal, et du colon au rectum) et provoquer les mouvements adéquats qui mènent à la toilette.

Evidemment, ce livre souffre de quelques approximations : bien qu’il fasse la distinction entre les différentes fibres (solubles, insolubles…), il les met au final toutes dans le même sac. Il identifie la production d’acides gras à chaînes courtes comme l’acide butyrique, ou acide propionique comme négatifs : j’avais vaguement abordé le sujet lors d’un article sur le régime Dukan, ces acides gras étant très bénéfiques aux cellules du colon. Selon Konstantin Monastirsky, les fibres en excès, produisent un excès des ces acides gras (avec en plus, lors de la fermentation, formation d’éthanol, et évidemment ballonnement), qui à terme aseptiserait le milieu intestinal et à terme serait une des causes de la dysbiose. On aurait donc aimé avoir le nombre de grammes de fibres quotidien à ne pas dépasser dans son alimentation, la limite autorisée…peine perdue. De même à la lecture d’un tableau, on comprend qu’il vise surtout les fibres des céréales (et notamment complètes, contenant le son, voire céréales transformées comme les All-Bran), car bien plus nombreuses, en %. Je vous ai copié le dit tableau : on voit bien que quelques aliments sont largement au dessus des autres. Il s’emmêle les pinceaux, quelque part, car il promeut un régime low carb, comme étant la contrepartie positive d’un régime low fiber, alors que lui-même prenait l’exemple japonais, friand de riz blanc. Avec les pommes de terres, les patates douces, le riz, il est des féculents pauvres en fibres.

Aussi, il aborde vaguement le régime méditerranéen : il l’enterre sans autre forme de procès. Un peu rapide : son analyse étant bonne et les fibres mauvaises, le régime méditerranéen étant riche en fibres, il est donc surestimé. Un peu rapide, et raisonnement limite circulaire, non, monsieur Monastirsky ? C’est, il me semble, un des rares régimes suivis scientifiquement, et qui a fait ses preuves. J’aurais aimé qu’il l’égratigne vraiment, histoire de bousculer un peu ce consensus mou…on restera sur notre faim. D’autant qu’il dispose de certaines statistiques peu courantes, comme les taux de cancers colorectaux légèrement plus élevés en France qu’aux USA, chose qu’il attribue à notre goût immodéré pour…le pain (commun à tout le monde méditerranéen). Les quelques références à son site (www.fibermenace.com ; ce qui pourrait être un résumé de sa thèse (Gut Sense) est disponible ) embêtent sérieusement, et donnent l’impression d’être dans une épicerie…on s’en passerait, cela entache sa crédibilité, un peu comme l’ouvrage de Ramiel Nagel sur la santé dentaire. C’est dommage, car son analyse est étayée par de nombreuses études – en fin de chapitre-, j’en cite deux emblématiques, quand même, sur le sujet le plus grave :

““Adopting a diet that is low in fat and high in fiber, fruits, and vegetables does not influence the risk of recurrence of colorectal adenomas.”

Harvard

Cette étude est disponible ici. Et elle est loin d’être isolée, il en cite certaines où c’est la relation existe, mais en sens inverse : les diètes riches en fibres qui promeuvent le cancer du colon. Tout comme il existe les études affirmant l’inverse, mais elles sont…plus communes, banales je dirais : elles rejoignent juste le consensus, le mainstream habituel.

A mon niveau j’ai du mal à trancher, oui son analyse est séduisante, oui les fibres sont démythifiées et démystifiées* aussi,mais elle souffre de nombreux défauts, et n’a pas de caractère explicatif pour les peuples primitifs à la santé sans égal, et dont la consommation de fibres est élevée. Ou tout simplement nos célèbres crétois, enfin jusque dans les années 80, ils ont fini par prendre le pli de l’occidentalisation depuis. C’est le défaut de toute analyse unidirectionnelle, les contre-exemples sont bien trop importants…je recommande toutefois la lecture de ce livre, qui reste malgré tout passionnant et instructif, si l’on excepte quelques redondances. Et il est plein d’humour pince-sans-rire.

Concrètement, ça ne devrait pas changer grand chose aux partisans du régime paléo : les fibres des légumes et des fruits ne semblent pas peser lourd dans la balance, pas autant que celles des céréales. Quelque part, on évite cette menace fibreuse. D’ailleurs il ne prône pas une alimentation no fiber, juste low fiber. Donc un peu de chou, de carottes, de salade l’été, de blettes…ça devrait passer sans problèmes. Ne pas abuser sur les amandes, par contre, si j’en crois le tableau. Pour les paléo high carb, si leurs produits se dirigent préférablement vers les tubercules, le miel, les châtaignes, toute sorte de fruits, le contenu en fibres est loin d’être nul tout de même. Pour autant, on n’atteint jamais les scores que l’on peut atteindre avec les céréales complètes, riches en son. C’était pas Dukan qui promouvait le son de blé pour éviter la constipation ? C’est une idée de génie à la con…

*Si vous avez une âme de contrarien assumée, OUI vous pourrez affirmer haut et fort que vous évitez la consommation de fibres…

6 commentaires sur “Fibres, un consensus non mérité ?

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  1. Est-ce qu’il n’aborde pas une remise sur pied pour les dysbactérisiens dans son bouquin? D’après son site, il a élaboré un protocole pour ceux qui auraient l’intestin compliqué, pour diverses raisons (trop d’antibios, un long passé de junk food ou de nourriture inadaptée, l’éducation qui nous incite à nous retenir quand c’est pas le bon moment, etc). Ca serait peut-être intéressant d’en toucher un mot?
    Chouette review sinon, merci!

    1. Merci !
      Dans mon souvenir il explique plutôt la dysbactériose en l’associant aux fibres (chapitre 4), mais sans donner spécifiquement de conseils. Je pense qu’ils rejoint les protocoles GAPS/Glucides Spécifiques, avec en plus une certaine phobie des fibres 🙂

  2. je recommence ma réponse, fausse manoeuvre, elle a disparu
    Sylvain, merci. Monastyrsky: quel cv donne-t-il dans son bouquin? S’il a été diplômé en médecine en russie mais n’a travaillé que comme informaticien, difficile de vérifier ses credentials. Face aux contrariens, il faut un sacré discernement. Si c’est juste une vision personnelle, sans cas concrets, sans cas cliniques qu’il aurait suivi, c’est juste du blabla. Il me conforte dans mes croyances, mais c’est peu crédible face à un sceptique.
    Mentionne t il l’impact des graisses dans la santé intestinale et bactérienne? As tu demandé son avis à Peter Hyperlipid sur ce livre? ciao

    1. Ah non je n’ai pas demandé son avis à Peter, cela m’amusait qu’il soit un peu de l’est aussi (avec un penchant « anti-légumes » un peu irrationnel). Mais au final le livre me laisse aussi une désagréable impression (progression de sa pensée pas très scientifique, cherry-picking des études qui l’arrangent en ignorant celles qui vont à l’encontre de son point de vue, en plus de la référence à l’industriel Merck).
      Pour l’impact des graisses sur la santé intestinale, dans mes souvenirs il indiquait que c’était un facteur positif, le seul macronutriment qui luttait (partiellement) contre la constipation. Il a un avis pro-graisses-saturées, sans non plus y passer des heures.
      J’ai appris 2, 3 trucs sur ce bouquin, mais c’est pas une grande référence au final.

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