Soigner la parole, soigner l’esprit

Feu Paul Watzlawick (1921-2007)  était un homme fascinant, terriblement cultivé, qui a souvent pris la plume pour vulgariser ses travaux ainsi que ceux de ses collègues, Bateson par exemple.

C’est le fer de lance de l’école de Palo Alto, son meilleur ambassadeur pour être plus précis. C’est une école de psychologie à but thérapeutique, un peu méconnue, se démarquant de l’ancêtre Freud sur plusieurs points : les interactions entre individus sont plus analysées que le psychisme profond d’iceux. De même parmi les enseignements de cette école, les thérapies cognitives courtes sont préférables à de longues séances de psychanalyse dédiées à trouver en vain l’ultrasolution et qui vous épuisent plus que le problème initial en soi et qui résoudrait en même temps tout les maux de l’humanité  : opération réussie, patient décédé sonne comme une blague mais démontre l’absurdité du jusqu’au-boutisme.

Le néophyte se dirigera vers des ouvrages de vulgarisation, justement écrits à destination du grand public comme Faites-vous même votre propre malheur, ou Comment réussir à échouer – trouver l’ultrasolution

palo alto
2 best sellers de l’école de Palo Alto

Ce sont des livres assez courts et qui introduisent le lecteur à la vision qu’a Paul Watzlawick de la psyché humaine, des relations, et peut-être même, de la vie. C’est une vision assez humoristique, plutôt absurde, les titres sont d’ailleurs assez évocateurs.

Toutefois, j’ai une préférence pour Le langage du changement, véritable bijou qui résume bien la pensée Palo Altienne et qui aborde la notion de double-contrainte, ainsi que celle de des injonctions paradoxales, impossibles à respecter et pouvant créer à terme certaines confusions mentales ou psychopathologies (cf. Vers une théorie de la schyzophrénie, Bateson, paru en 1956) :

  • Sois spontané ! – la plus célèbre.
  • Il est interdit d’interdire ! – tiré de mai 68, car Watzlawick était non seulement cultivé, mais également francophile !
Peut-être le meilleur ?
Peut-être le meilleur ?

Le point de départ est que les thérapeutes doivent avoir un langage : la parole peut-être thérapeutique, salvatrice pour le patient, encore faut-il le savoir, et comment l’utiliser à bon escient. On y apprend quelques rudiments sur les différences entre les deux hémisphères du cerveau, selon lui, ce n’est pas avec le cerveau gauche dit « rationaliste » que l’on peut se débarrasser d’un problème ou vivre sereinement avec mais avec le cerveau droit, plus branché en mode « artistique »* : trop de logique tue la logique, et une solution logique ne saurait être la bonne. En revanche « Prêcher le faux pour obtenir le vrai » pourrait être un proverbe qui résume son approche. Un peu à la manière de l’homéopathie, il suggère de prescrire le symptôme, de combattre le mal…par le mal en quelque sorte. Il donne un exemple lumineux, celui de John Hunter, auteur d’un Traité des Maladies Vénériennes au 18ème siècle, disponible sur Google Books :

Un gentilhomme me confia avoir perdu ses pouvoirs sexuels (…). Après plus d’une heure de consultation, je tirais de son cas les constatations suivantes : d’une part, il avait à des moments inopportuns de fortes érections, ce qui prouvait qu’il était bel et bien en possession de ses pouvoirs naturels, que ces érections étaient accompagnées de désir, ce qui à son tour, est ce que nature requiert, mais que malgré cela, il demeurait une certaine insuffisance que je supposai provenir de son état d’esprit. Je lui demandai alors s’il réagissait de la même manière avec toutes les femmes. Sa réponse fut négative : avec certaines femmes il parvenait à jouir normalement. Cette remarque me permit de circonscrire la source du mal plus étroitement. Il s’avérait donc qu’une seule femme était responsable de faire naitre cette incapacité, et qu’à son tour l’incapacité était due au désir trop vif du monsieur de mener son entreprise à bien. Comme cette situation provenait exclusivement de son attitude mentale résultant d’une circonstance particulière, il fallait faire appel au cerveau pour réussir la cure. Je lui dis, par conséquent, qu’il guérirait s’il lui était possible de se fier entièrement à sa propre volonté de continence. Après que je lui eus expliqué ce que j’entendais par cela, il m’assura de se sentir parfaitement capable de contrôler ses actes et ses décisions. Je lui dis donc que, s’il avait vraiment confiance en lui-même, il devait s’allonger auprès de cette femme tout en se promettant de s’abstenir de tout rapport avec elle six nuits durant, quels que fussent sa puissance ou ses désirs, et de m’informer du résultat obtenu, ce qu’il convint de faire. Une quinzaine de jours plus tard, il vint me dire que la nouvelle démarche avait produit une telle transformation en lui que non seulement la puissance était revenue, mais que lorsqu’il se couchait tout les soirs, l’angoisse n’était plus celle de son impuissance, mais au contraire celle de se trouver possédé d’un désir si violent qu’il risquait de s’en trouver fortement incommodé, ce qui en fait s’était produit, et qu’à présent il était prêt à réduire la durée de temps convenue au préalable. Le « maléfice » une fois rompu, esprit et virilité marchaient de pair, l’esprit ne revenant plus jamais à son état premier.

On comprend dès lors son amour pour l’humour absurde développé par exemple dans Faites vous-même votre propre malheur. Sans tomber dans les affres de l’humour-thérapie, les thérapies courtes inspirées de Palo Alto désarçonnent le patient pour son bien, à l’aide d’outils qui ont fait leurs preuves. Par exemple quand le patient est atteint de panique, le thérapeute prend le contrepied, en posant des questions absurdes hors-propos du type « Quand avez-vous passé le bac ? » ou « Qu’avez-vous mangé ce matin » en étant sérieux et pressant, histoire de détourner l’attention.

Aussi il est intéressant de noter qu’il explique de manière scientifique les pouvoirs de certains gourous, chamans : nulle trace de magie nulle part, juste des outils, ces éléments de langage dont certains sont connus depuis très longtemps ont bel et bien des propriétés thérapeutiques, curatives. Et ça n’est pas ésotérique que de l’affirmer, c’est comme ça qu’il semble que l’on fonctionne.

* c’est une vision bien entendu réductrice, j’admets, pour aller plus vite.

2 commentaires sur “Soigner la parole, soigner l’esprit

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  1. salut Sylvain

    tu vas faire la ruine de nos amis psys 🙂
    je partage cette vision : j’en ai fais des années de psychotherapies, à raconter, re-raconter, pour creuser, chercher le pourquoi du comment.. résultat? je sortais en pleurs, en m’etant créé de nouveaux problèmes à force de cogiter… bref, je revenais fidèlement, de plus en plus parce que d’apres le thérapeute, on avançait beaucou^p… A 60€ la seance… foutaises!!

    et si au lieu de chercher à comprendre le pourquoi du comment, on essayait juste de passer à autre chose et d’avancer?
    Je suis tombee sur une excellente thérapeute : au lieu de creuser, elle m’a proposé d’avancer, de passer à autre chose, au futur etc… et je suis ressortie de ces quelques seances euphorique. Apres ces quelques mois, elle m’a dit « bon, ben, ce n’est plus la peine de se voir, vous n’avez plus besoin de moi! »

    merci pour cet article qui pour moi est révélateur 🙂

    Mel

    1. Ben, euh de rien.
      Cela dit je pense qu’ils ont un rôle à jouer pour bon nombre de gens (tout de même), juste que parfois les méthodes ne sont pas adaptés.
      C’est toujours au client de changer de crèmerie s’il progresse pas avec un thérapeute de toute façon.

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