Parfois, je me dis que j’ai de la chance de vivre en France : si on se donne de la peine, on a accès à des aliments frais, savoureux, naturels, et dans une gamme de prix raisonnables si on suit les saisons. La France est aussi un pays de gastronomie, où l’on aime déguster les plats en famille ou avec des amis. La France est un, sinon le pays des bon vivants, la table est reine, on parle bien de l’art de la table, à tel point que l’Unesco a inscrit la gastronomie française au rang de patrimoine mondial immatériel de l’humanité. Le délicieux film de Pixar, Ratatouille, plein d’aussi délicieux clichés, ne fait que reprendre la vision de la France vue par les autres. C’est aussi un constat que l’on peine à comprendre si on reste dans le pays, parfois une oreille bouche externe est nécessaire pour en prendre la juste mesure. Karen Le Billon, canadienne de son état, et mariée à un français, a fait le choix de suivre celui-ci en France, amenant ses filles dans ses bagages. Elle fait donc l’expérience de s’adapter à la vie française et d’y adapter ses filles : cela sera plus facile pour elles…que pour Karen.

On pourra retrouver son blog officiel ou pour les non anglophiles, cette interview de l’auteur, à moins que cette chronique du livre ne vous parle davantage.
Je trouve son propos très optimiste, plein de bon sens aussi, peut-être en décalage avec ce que j’observe quotidiennement chez les uns et les autres : la France me semble bien plus américanisée que ce qu’elle a pu observer. Le tableau est incomplet, la réalité de la France à table se situe quelque part entre son vécu, et celle du Canada anglophone. Difficile de trancher, tout n’est pas si idyllique. Son expérience me semble relever de la France rurale : la famille du mari vit en campagne bretonne, et on devine çà et là, des indices d’une France de l’Ouest attachée à ses traditions. Au même titre que le Pays Basque, la Corse…En fait, le portrait d’une ancienne France, pas totalement disparue, mais la ville et son influence ont largement grignoté le territoire.
Pour ma part, étant franchement citadin, ayant rompu avec les racines terriennes (immigration espagnole, et parents ouvriers, pas paysans, ça compte), je peine à retrouver toutes les qualités de l’éducation tant vantées par Karen Le Billon, tout au plus c’est grosso modo, l’éducation de mes parents, mais pas celle de ma génération ou de mon environnement social. Et quand j’observe les pratiques des amis qui ont des enfants, la pente ne va pas dans le bon sens…mais sans doute, il reste encore quelques habitudes sociales qui nous préserve de l’individualiste Amérique du Nord : manger à table, ensemble reste la norme par exemple. Sur d’autres points, et rien que pour reprendre le titre du livre : non les enfants français ne mangent pas de tout, et les parents échouent, parfois ou souvent, à leur faire manger de la bonne nourriture.
Cela doit aussi dépendre de la catégorie sociale, je ne m’étendrais pas là-dessus, mais il semblerait que les classes privilégiées le soient aussi en termes d’éducation, et la famille Le Billon semble être d’une classe plus aisée que les français moyens ou populaires. Le contexte joue…assurément, et il n’est pas le même partout en France loin de là. Ces simplifications, l’usage abusif de stéréotypes servent aussi de char d’assaut marketing à l’assaut du marché nord-américain, j’ai aperçu que c’était loin d’être la seule à avoir écrit sur l’éducation à la française, le french parenting. Une mode, semble-t-il ?
Mais les remarques qu’elle prodigue sur son livre relèvent du bon sens, et méritent d’être appliquées, bien que d’autres modèles traditionnels fonctionnent aussi. Même nous, autres français (et aussi belges, et suisses…ou canadiens francophones pouvant se sentir concernés) pouvons nous appuyer sur le vécu d’une personne qui a expérimenté deux opposés en termes de pratiques culinaires, éducatives et sociales. Pour retrouver nos traditions que nous tendons à perdre : une seule statistique qui sera assez symbolique, représentative : la France est devenu le 2ème marché au monde du fast-food. Et ça n’est pas que MacDo, KFC ou Quick : on doit y compter les pizzérias, les kebabs florissants, les Subway, voire les Paul, etc. Le fast-food a ainsi dépassé en termes de parts de marché, la restauration traditionnelle. Tout n’est pas noir, mais il faut prendre garde.
La parution du dernier Cuisine Nature de Taty Lauwers est d’ailleurs un peu symptomatique : spécial Jules pressé, « je débute en cuisine nature », indique bien que le monde a changé et la France aussi (bien que Taty soit belge). Célibataires plus longtemps, la femme plus autant aux fourneaux que par le passé, des Jules qui par pseudo-machisme ou tout simplement trop assistés (sans parler des trop pressés, jeunes cadres) dans leur jeunesse n’entravent que dalle à la cuisine et sont vite noyés sous des recettes trop complexes. Ce livre les aidera à faire le tri et à faire des miracles culinaires en peu de temps, peu d’ingrédients :
Hé bien je dois dire que j’avais également quelques leçons à prendre, ce livre est à mettre en toutes les mains, du moins celles qui ne sont pas expertes en cuisine, et qui pour des raisons valables, ne vont pas suivre des cours. Un autre livre plus spécialisé paléo, devrait voir le jour cet automne. Pour (ré)apprendre à cuisiner, de bonnes bases, des recettes simples mais délicieuses, les ustensiles à posséder, l’essentiel en quelque sorte ! Et en filigrane, des conseils culinaires très bien vus pour les paléo, ancestraux, wapfeurs de toute sorte ; les graisses conseillées, par exemple, feraient fuir plus d’un bien-pensant bloqué sur Ancel Keyes et les années 50 : beurre, huile de coco, graisse de canard ou d’oie, en insistant sur le type à choisir et leur qualité (dite ressourçante). Très bonne pioche.
Sylvain, quel plaisir de lire ce billet !
Pour ma part, si j’aime faire la cuisine, c’est parce que j’ai toujours vu autour de moi, depuis tout petit, les adultes prendre le temps et apprécier de faire la cuisine, simplement, avec des produits du jardin ou qui ne venaient pas de très loin.
Si les jeunes adultes d’aujourd’hui rechignent à faire la cuisine et préfèrent sortir la pizza du congélateur pour la mettre directement au four en regardant la télé pendant que ça chauffe, cela tient très certainement à l’éducation plus qu’au modernisme. On ne peut pas reproduire ce qu’on ne connaît pas ou qu’on n’a pas connu…
Le manque de temps allégué est un faux prétexte quand on sait que les adultes passent en moyenne 4 heures par jour devant leur télé.
Parents, associez vos enfants à la préparation et au partage des repas, vivez ces moments délicieux en cuisine puis tous ensemble autour de la table, télé éteinte bien sûr.
Manger ne consiste pas seulement à se « remplir » le ventre, il ne s’agit pas seulement d’un besoin qu’il faut expédier au lance pierre pour se ruer ensuite sur une console de jeux, un écran d’ordinateur, de tablette ou de télévision.
Comme je l’avais écrit dans un article « vos enfants savent-ils ce qu’est une betterave ? » (http://naturo-passion.com/vos-enfants-savent-ils-ce-quest-une-betterave/), l’éducation alimentaire qui est inexistante à l’école relève des parents. Nous avons une énorme responsabilité sur la santé des futures générations qui doivent absolument, dès le plus jeune âge, être sensibilisées sur le fait qu’alimentation et santé sont très intimement corrélées.
Et quand on peut concilier plaisir et santé, que demander de plus ? Effectivement, nous avons cette chance en France, il faudra savoir le perpétuer.
Florian
Merci.
Entièrement d’accord.
J’ajouterais que la dégradation de l’éducation ne s’est pas faite en un jour, mais plutôt progressivement, quoique cela puisse paraitre trivial de le dire.
Ouvriérisation de la société (avant, travailleurs dans les champs) puis tertiarisation, urbanisation. Hypermarchéisation aussi. Perte de lien social producteurs-consommateurs (les AMAP me semblent un épiphénomène, à voir), prix imposés en grande surface (la négociation avait du bien), moindre connaissance des aliments, de comment il sont faits, je ne compte plus les gens qui prennent leur estomac pour une poubelle. Transformation de la société aussi…avant les grands-mères possédaient un grand savoir…qu’on a ringardisé (plats préparés…et pharmaceutique), et aussi avec le travail des femmes (je suis pour, mais le revers de la médaille c’est que la transmission orale/rurale ne s’est pas faite ou se fait moins qu’avant, c’est un fait). On peut disserter des heures.
Oui on a encore un peu de traditions en France, heureusement. Mais dans certaines couches populaires, c’est presque fini, c’est déjà l’Amérique. « Faut bien mourir de quelque chose » on me dit souvent, c’est inacceptable, je mourrais bien plus vieux, dans de meilleures conditions !
Bonne analyse.
Je vois d’autres facteurs à l’oeuvre parmi les causes de la déculturation culinaire. Un autre facteur a été le déracinement des populations immigrées. L’Amérique de ce point de vue est l’archétype du phénomène, d’autant qu’il s’est produit dans le contexte de l’héritage culturel anglais dominant, autrement dit pas la tradition culinaire la plus solide…
Un autre a été les velléités de liberté individuelle exprimées par les populations au 20è s et qui trouvent leur point d’orgue en 68. Remettre en question les dogmes, l’autorité familale, etc. Comme tout phénomène civilisationnel, ça comporte des bons côtés (libération sexuelle, individuation de la personnalité, etc.) et des mauvais (individualisme, oubli générationnel, etc.)
Mais le phénomène de masse de l’obésité est quand même assez récent. Je regardais un livre de photos l’autre jour. « The RFK train ». On y voyait des milliers et des milliers d’américains rendre hommage à Robert Kennedy le long de la voie ferrée qui transportait son corps en 1968. Pas une personne obèse dans la foule! Au plus, une poignée de vieillards avec un ventre un peu rond.
Mais on observe aussi un mouvement de correction se mettre en place. Alors que une frange croissante de la population mondiale s’enfonce dans la malbouffe (les USA sont aujourd’hui dépassés par l’Egypte et le Mexique en statistiques d’obésité), une autre (généralement plus éduquée) prend conscience des choses, et ce livre en est un exemple.
Dans mon cas, fils d’une française à l’éducation classique et d’un immigré vietnamien qui avait gardé quelques recettes du pays, je vois que j’ai quand même un certain chemin à faire. Réapprendre après des années de dégradation de mon régime alimentaire sous les assaults répétés du manque de temps, de la paresse, des produits préparés, de l’indifférence à ma santé… Mais je le fais sur des bases autres que celles de mes parents. Eux fonctionnaient de manière automatique, par conditionnement culturel, alors qu’aujourd’hui on a moyen de penser et comprendre davantage les tenants et aboutissants du régime alimentaire.
Joli commentaire !
Je crois que je suis à 100% d’accord.
Je ne dépareille pas non plus, quand je ne veux pas cuisiner, c’est fruits (bio hein !), quelques tranches de jambons de pays (bio hein !!), quelques poignées d’amandes. Un peu paresseux, et ça finit par manquer de variété, d’où la nécessité de se remettre aux fourneaux. Mais c’est largement « moins pire » que pizza livrée à domicile, hamburgers, etc.
Pour l’obésité, je crois avoir vu que ça débute réellement aux USA aux alentours des 80’s, voire légèrement avant.
Sylvain
So true!!! Bien vu Sylvain… Moi même maman d une puce de 5 ans, j essayé de faire au mieux pour lui donner le goût des bonnes choses genre nourritures vraies de Taty… Mais avec les copains, l ecole etc, elle apprends à manger à la nouvelle mode ( Mc do, bonbon poisson pané..) que faire? Éviter qu elle ne sente exclue du » groupe » en lui interdisant ces petits plaisirs? Pas question Je cuisine au mieux le soir et c déjà pas mal!!! Et avec les moyens financiers de Mme lambda! Le principal : profiter de ce temps de partage au mieux On n est pas parfait 😉 Et oui, merci au dernier livre de Taty : pratique quand on n est pas un cordon bleu et qu on a 15 Mins pour préparer le dîner !!!
Mel
Tout à fait, c’est vraiment un livre cuisine-express, il en existe d’autres, sauf que celui-là a la philosophie Taty, ça manquait !
Il y a un passage vraiment critique dans l’éducation du goût des jeunes enfants, c’est celui de l’équilibre alimentaire après le sevrage. La saveur sucrée est acquise de manière innée (puisque c’est celle du fluide amniotique) mais les autres restent à acquérir. Nous avons eu la chance de suivre des recommandations inspirées par le mode de vie traditionnel au Japon, où l’on donnait en premier aux bébés des aliments gras et protéinés. Version française : oeuf cru, fromage affiné, morceaux de viande grillée… Cela à une époque où les « céréales » commençaient à envahir le marché, alors que nous étions nous-mêmes « céréaliens » de par la référence à la macrobiotique. Il me semble qu’un des problèmes majeurs dans les familles aujourd’hui est l’abondance de ces « céréales » matinales, donc d’une alimentation centrée sur les glucides, encouragée par des parents qui eux-mêmes croient ne plus consommer de sucre, divulguent le discours « moins de gras » et même achètent leur drogue matinale en magasin bio !
Pour ce qui est de la cuisine, il est vrai que les livres simples font recette, et à juste raison. Nous avions offert un petit livre de cuisine à notre fils qui s’en est beaucoup servi pour échapper à notre obsession riz complet/poireaux à la vapeur. Du coup il s’est passionné pour la cuisine (pour ne pas mourir de faim) et il jouit aujourd’hui d’une réputation de cordon bleu… Il vient de nous renvoyer l’ascenseur en nous offrant « Simplissime » de J.-F Mallet, un livre de cuisine qui fait un malheur chez les jeunes, irrésistible quand on contemple les photos et la simplicité des recettes. Mais ce n’est pas un bon exemple de diététique car il cède trop à la mode de mélanger des fruits aux plats salés. Donc on va contre-attaquer en lui offrant Taty ! 😉