Trinquer est-il bon pour la santé ?

Petit rappel non inutile, à quoi fais-je référence quand je parle d’alcool : que cela soit le vin ou la bière de nos contrées, les eaux-de-vie régionales (mirabelle, cognac, calvados…), le rhum, les whisky, ou des alcools plus exotiques comme le tesgüino des Tarahumaras, le saké japonais. Le plus petit dénominateur commun est l’éthanol, qui est un type d’alcool, une molécule assez commune. D’autres alcools existent en chimie (méthanol) mais ils sont logiquement considérés comme toxiques très rapidement, pas de confusion possible. L’éthanol est présent à degrés divers dans les boissons alcoolisées, donc évidemment les effets ne sont pas identiques, je privilégie dans l’article les alcools faibles, bières et surtout vins. L’éthanol est issu d’une fermentation, mais d’un processus sensiblement différent des aliments fermentés qu’on a l’habitude de considérer comme tels (choucroute, cornichons, fromages). Sur la fermentation en général, un livre très bien vient de sortir, Ni cru, ni cuit par Marie-Claire Frédéric, le prix me bloque un peu, mais il semble de qualité.

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L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

C’est le message obligatoirement présent pour toute publicité pour un produit contenant de l’alcool, merci à la Loi Evin de nous materner comme il faut.

Ce message n’est pas en soit faux, mais dégage l’odeur d’une injonction paradoxale sans en être une totalement : quand commence l’abus, quand se finit la modération ? Le vin je peux en boire, c’est pas de l’alcool ?

Une attitude de défiance qui finit part partager les français en trois : Ceux qui s’imaginent perdre toutes leurs neurones et leur foie à la première goutte de bière en plus de prendre du poids, ceux qui s’adonnent aux cuites intenses le week-end (parait qu’il faut dire désormais binge-drinking), ainsi qu’un public de connaisseurs raffinés, et adeptes de nutrition intelligente, qui s’accordent régulièrement un verre d’alcool au repas. Les buveurs réguliers « ancestraux » et sans arrière-pensée sur la santé ne sont déjà plus de ce monde, peut-être reste-t-il quelques énergumènes dans nos campagnes fidèles à une pratique hélas d’un autre temps.

Pourquoi hélas ? Parce que de nombreuses études (et pas seulement celle-là), et avec elles, pas moins de nombreux auteurs concluent qu’un peu d’alcool, pris au moment du repas -essentiel- peut être un élément clé de votre santé, cardiovasculairement parlant, mais peut-être aussi au niveau de la prévention de certains cancers.

Alors inutile de revenir sur la consommation effrénée d’alcool, tout ça est parfaitement documenté, à vrai dire, la plupart des gens sont en mode orthorexique dès qu’il s’agit d’alcool, et ce dès la première goutte absorbée : et vas-y que tu cultives ta cirrhose hépatique, les dégâts neurologiques sont irréversibles (Alzheimer guette !), le cancer du tube digestif supérieur se développe à vitesse grand V, tu vas avoir un accident de voiture et tu vas battre ta femme.

Deux ouvrages pour vous convaincre de la consommation raisonnée de vin
Deux ouvrages pour vous convaincre de la consommation raisonnée de vin

Heureusement, la réalité est un peu moins binaire, merci à tout ces scientifiques qui ont d’abord épluché la littérature scientifique dite observationnelle (épidémiologique, bien qu’on connaisse les défauts inhérents à ce type d’études), puis ont pu tester la validité de leurs assertions en étudiant davantage les boissons alcoolisées, vins en tête, ainsi que leurs propriétés sur le corps humain. Et si l’on retient comme élément protecteur les polyphénols, la plupart du temps, le premier mot qui vient en tête, c’est…resvératrol, une vrai star, une molécule « magique » qui a le vent en poupe à l’instar de la curcumine, pour d’autres raisons. Problème, selon cette étude récente, une alimentation riche en resvératrol ne conduirait pas à une augmentation de la longévité, ni à une réduction des maladies de civilisation. Diantre !

Roger Corder lui privilégie la piste d’un autre type de polyphénols, les procyanidines (elles-mêmes une sous-classe des flavonoïdes…vous suivez ?) pour expliquer la supériorité du vin rouge, de certains cépages, grâce à la fermentation simultanée du jus de raisin et…des pépins qui contiennent ces fameuses molécules, expliquant ce en quoi le vin est ainsi supérieur au jus de raisin.

In fine ces propriétés antioxydantes, vasodilatatrices, protectrices des artères en général pourraient expliquer le paradoxe du sud-ouest français, toujours selon Roger Corder. Malheureusement, j’ai un peu de mal avec la statistique démographique qu’il utilise, le pourcentage de vieillards d’une population sans la raccorder avec les naissances lors des décennies passées et la pyramide des âges en général – sans parler de l’exode rural – est assez téméraire. Si de nombreux jeunes sont absents car peu de boulot et s’exilent massivement disons vers Toulouse ou Paris, le pourcentage de vieillards dans la population monte mécaniquement. Cet effet peut-être largement supérieur dans le Gers ou en Ariège, départements vieillissants restés massivement agricoles, faute d’employeurs dans le secondaire ou le tertiaire.

Sans compter qu’à mon sens, une explication qui permettrait à une population avec un boulet (les graisses animales dites saturées) de ne pas seulement compenser ce boulet (avec statistiques dites « moyennes ») mais carrément de surclasser les autres populations : c’est à se demander plutôt si le boulet n’en serait pas un du tout -hypothèse de neutralité-, et le vin seul expliquerait la performance. Et aussi un des vins chéris par l’auteur est le madiran (et son fameux cépage, le tannat) dont la zone s’étend au-delà du Gers dans les Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Atlantiques, départements bien moins performants au niveau démographique, selon sa classification en tout cas.

En revanche, l’approche par les zones bleues* chère à Dan Buettner et à National Geographic permet d’obtenir des indices plus probants : les sardes tout comme les centenaires d’Okinawa boivent régulièrement, disons un verre par jour, d’alcool. Du cannonau en Sardaigne, qui est un vin avec un cépage connu en Languedoc, le grenache, et du saké à Okinawa. On pourrait m’objecter que ces centenaires ne doivent leur longévité qu’à leurs pratiques sociales et familiales, sans stress ou leurs régimes semi-végétariens…en effet…mais dans ce cas l’alcool ne les empêche pas d’être centenaires, à l’instar de Jeanne Calment qui buvait son porto quotidien ! Mais penchez-vous sur toutes ces études sur les propriétés du vin, de certains vins, cela finira par vous convaincre.

Si vous n’avez pas de contre-indications particulières, par exemple en étant enceinte, il n’est absolument pas contre-indiqué de boire un peu d’alcool au cours d’un repas, peut-être plus en fin qu’au début, pour préserver l’appareil digestif supérieur, et lentement afin d’éviter une hausse trop brutale de l’alcoolémie : une autre raison pour laquelle il faut manger lentement !

Et si boire (un peu) d’alcool permet de se lâcher (un peu), de rire…on oublie un moment les soucis, on socialise, on déstresse, le but est quoiqu’il en soit atteint pour les artères** !

Evidemment, sans rentrer dans le détail, le pourcentage de sulfites est problématique, tout comme les vins trop vieux perdent de leurs polyphénols (mais gagnent en goût), et les pesticides dans la viticulture conventionnelle peuvent gâcher la perfection nutritionnelle…il est loin le cannonau traditionnel des sardes centenaires ! Néanmoins l’offre est assez fournie pour trouver son bonheur.

* J’ai la faiblesse de penser que la concentration de centenaires, voire de super centenaires est un indice démographique plus pertinent que les statistiques utilisées par Roger Corder. Cela reste discutable.

** on se réfèrera aux nombreuses études liant moral, rire, liens sociaux et stress aux maladies cardio-vasculaires, probablement le principal facteur de ces pathologies, peut-être devant l’alimentation, qui sait ? D’ailleurs dans l’étude des Zones Bleues, les sardes sont réputés pour leur rire moqueur, car ils se vannent tous entre eux assez librement…une probable origine quant au rire sardonique.

11 commentaires sur “Trinquer est-il bon pour la santé ?

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  1. merci, très intéressant comme d’habitude, Sylvain, subtil, nuancé. Je rajouterais un paramètre qu’on oublie souvent dans les études: l’utilité des polyphénols, quelle que soit la famille (dans le vin ou dans le chocolat), n’est que fonction de l’état des intestins et du microbiote. Si tu as les intestins en capilotade, tu peux faire des confettis avec les effets des polyphénols, qui n’y sont pas métabolisés « comme dans les livres ». Il ne te restera alors que l’effet déstressant de l’alcool (avoue que boire un petit pineau, ça va plus vite qu’une heure de méditation, c’est tentant). A la question: « le chocolat, le vin sont-ils bons pour moi », on répond « comment allez-vous à selle »

    1. Merci !
      Avec un lecteur on se demandait si l’effet positif des polymachins ne serait pas de prévenir l’oxydation (par exemple : du fer des viandes) dans le système digestif, plutôt que dans le sang. De la même raison, on trouverait aussi la raison pour laquelle on a du mal à accuser les fromages, alors que la viande rouge est plus impliquée (niveau MCV). Dans ce sens boire du vin, au moment du repas, surtout s’il contient une part de viande rouge serait salutaire. Et en phase avec les habitudes de consommation (ancest…oops)
      Enfin, là on est plus dans les pistes à creuser que les preuves irréfutables.

  2. je suis plutôt globalement d’accord avec vous (cf http://www.nfkb0.com/2012/01/01/consommation-dalcool-en-2011/ et http://www.nfkb0.com/2011/02/16/alcool-vin-et-sante-de-michel-de-lorgeril/ )

    j’ai lu lorgeril à ce sujet et je trouve qu’il existe une sorte de biais de confirmation chez lui… il ne parle que de ce qui va dans son sens

    Je suis d’accord avec les travaux sur les MCV mais quid des cancers ? Pas simple si ? Un verre en appelant un autre… L’INCa ne tient pas un discours aussi positif que vous

    1. C’est pour ça que je parle de consommation modérée, in fine.
      Au-delà…
      Ca et les autres inconnues (je suspecte que plus on consomme de l’alcool, plus les profils diététiques sont mauvais, plus on fume, etc. , c’est ce que j’appelle « l’effet végétarien », ça ne dit rien sur la consommation d’alcool une fois figées les autres variables).
      Mon but c’était de dé(dramatiser,diaboliser) aussi.

    1. « Si boire de l’alcool pour une femme enceinte est ok »

      Ah non, j’ai pas dit que c’était ok ! Ma phrase est ambigüe je me rends compte : être enceinte est bien une contre-indication particulière.

  3. Intéressant cet article. Personnellement, j’ai perdu le goût de l’alcool pendant ma première grossesse. Depuis, soit je ne trouve pas cela agréable, soit une gorgée me suffit, même des vins que j’aimais autrefois le plus.
    Au delà de ce changement de goût que j’attribue à un changement physiologique, un autre aspect du vin me rebut dorénavant : les pesticides. J’habite dans une région viticole et je suis effarée du nombre de traitements que reçoivent les vignes autour de chez moi… Alors certains composés du vin sont certainement très bénéfiques … mais d’autres un peu moins. S’ajoute à cela que des agents de collage à base de produits animaux sont utilisés pour la majorité des vins, ce qui est incompatible avec qui souhaite un régime végétal… mais ceci est un autre débat.

    1. Oui. Souvent dans le contexte, il faut comprendre aliments artisanaux, presque « faits à la main », pour ne pas s’embarrasser de toxines diverses qui se sont invitées dans le menu depuis quelques dizaines d’années…il ne faut pas perdre de vue ce détail pourtant.

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