Parler d’art ~ le cas des Beatles

John Lennon affirmait qu’il était inutile de parler de musique. Il faut en jouer, ou l’écouter.

Il avait raison. Et tort. Les deux à la fois.

En fait parler d’art, de musique, à juste mesure, permet de mieux apprécier la musique. Alors qu’en parler trop fait automatiquement basculer dans le camp des râleurs, des critiqueurs, qui passent à côté de l’essentiel.

Pour les Beatles, je vois grosso modo, 3 types de publics, pour simplifier mon propos. Ceux qui ont vécu les années 60 avec eux, ceux qui les ont toujours écoutés, et ceux qui ne se sentaient pas concernés, car ont vécu leur jeunesse dans les années 70, 80 ou 90, et donc les Beatles, c’est la musique des parents, ou des grands frères au mieux. Bref, pas la même génération.

Je dois avouer que les Beatles, j’en ai été biberonné. Les disques tournaient à la maison, donc, inutile de penser que ça a été anecdotique. J’ai grandi avec eux, et donc mes goûts musical avec. Je ne vais pas chercher à corriger ce biais dans l’article.

J’ai toujours été désarmé face aux sceptiques des beatles : non pas qu’ils soient de mauvaise foi, mais pour moi il m’apparaissait comme tellement évident qu’ils ont été  un des groupes les plus marquants de la musique populaire du 20ème que je ne pouvais concevoir des gens qui n’aimaient pas (à la longue on y arrive), mais surtout des gens avec de vrais arguments. Par exemple, les Beatles ont été là quand il n’y avait encore rien ou si peu, et c’était plus facile pour eux. Ou encore, il y a eu plus virtuose qu’eux, il y a eu des groupes qui ont joué des morceaux plus agressifs que Helter Skelter, leurs albums sont remplis de fillers, rien ne vaut heureusement leurs tubes, ou encore les premières années du groupes sont assez niaises.

Pas grand chose à répondre : c’est assez désarçonnant, il y a sans doute une part de vérité. Si on ne peut pas agir sur les goûts des gens, on peut, en revanche réestimer à la hausse les Beatles, aux yeux des sceptiques, s’ils veulent bien prendre le temps de s’y intéresser.

mark herstgaard
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L’Art des Beatles, écrit par Mark Herstgaard est une vraie leçon de maître : très bien écrit, très bien documenté, on ne s’intéresse qu’à l’extra-musical uniquement s’il permet d’éclairer le musical. La musique, rien que la musique. Herstgaard a en plus eu accès à des heures et des heures de musique, mais également pour certaines chansons à l’intégralité des sessions studios (le magnétophone tournait… !), l’ouvrage est ainsi riches en anecdotes, souvent révélatrices. On apprend énormément sur la génèse de ces dizaines de titres que nous connaissons tous (ou presque !) par cœur.

Impossible de résumer ce volume : je vais m’attacher aux points essentiels :

–          Les Beatles ne sont pas une erreur : ne voir en eux qu’un groupe de « sympathiques tignasses » (ou pire : un boys band) est réducteur. Humainement, les 4 Beatles formaient une forteresse imprenable, entre les deux fortes têtes pensantes Lennon et McCartney – et ambitieuses -, et les deux en retrait mais qui jouaient pleinement leur rôle, Harrison et Starr.

–          Musicalement, l’alchimie était totale, grâce à leur synergie et leur formidable complémentarité. Lennon caractériel était plus attaché au rock, Macca avait eu une éducation musicale – bien que d’origine ouvrière, et donc sensible aux jolies mélodies folk et douces de Liverpool, il savait en outre jouer de plusieurs instruments (il jouait de la batterie avant…et même parfois en studio). George Harrison légèrement plus jeune apprit à leurs côtés et s’est fait violence pour s’imposer. Ringo Starr était plus anecdotique au niveau musical ; on sait que l’équilibre humain des beatles a pu tenir huit années intenses grâce à lui et sa bonne humeur naturelle.

–          Le rôle de George Martin : le fantasme du 5ème Beatles a longtemps perduré. S’il en est un, cela ne peut-être que lui. Pourtant après la lecture du livre, sa contribution, bien qu’essentielle, on ne peut malgré pas lui attribuer le titre de 5ème Beatle. Il a plutôt joué le rôle du père ou du grand-père qui les guide en studio, les premières années surtout. Son rôle a été d’implémenter la touche symphonique chez les Beatles : les cordes de Yesterday, Eleanor Rigby, Strawberry Fields Forever, A day in the life, c’est lui ! Si la musique des Beatles est devenue plus riche, il y est sans doute pour beaucoup. Il y a un monde entre Love me do et A day in the life. A contrario, chez la concurrence, Brian Wilson semblait porter TOUT les Beach Boys sur ses épaules.

–          Derrière l’apparence simplicité de leurs chansons se cache de nombreux choix de studio qui ont leur importance (capitale) qui les placent au dessus de la mêlée de la plupart des groupes pop de l’époque : de l’intro brutale de Hard Day’s Night (qui sonne de manière indescriptible presque comme une cloche d’école), le premier feedback volontaire de l’histoire dans I Feel Fine, la réunion de deux morceaux indépendants en un seul pour A day in the life – et son apothéose symphonique.

–          Autre détail qui n’en est pas : les Beatles composaient eux-mêmes la musique qu’ils jouaient. Cela était très peu courant à leur époque. Cela nous paraît naturel aujourd’hui, mais ne l’était pas à l’époque. Ils ont en quelque sorte institué la composition comme une corde supplémentaire à l’artiste, qui n’est pas seulement interprète. Eux-mêmes semblaient dépassées par leur propres compositions : l’inspiration leur venait très naturellement. Ils pensaient n’être qu’une sorte de medium qui canalise le génie musical et il leur été dévolu de le restituer. C’est une interprétation plus mystique qui ne satisfera certes pas les plus terre-à-terre d’entre nous.

L’ouvrage se finit sur une citation : « on écoutera les Beatles comme on écoute Mozart ». Elle a été mal interprétée : ce n’est pas tant qu’il faille classer les Beatles comme aussi virtuose et talentueux que Mozart. En revanche les deux ont officié dans la musique populaire de leur époque, et ont écrit de la musique qui devrait traverser sans peine les décennies sinon les siècles. Non vraiment, si vous vous intéressez aux Beatles, s’il n’y a qu’un seul livre à acheter, c’est celui-ci. Il est devenu relativement rare (publié et édité dans les années 90), mais c’est une mine d’or pour qui s’intéresse à la musique en général, à la pop culture des années 60, à la démarche artistique, humaine, et parfois spirituelle. Gageons que cet ouvrage permettra de mettre de l’eau dans le vin des sceptiques des Beatles.

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