Les caries c’est toujours un succès, aucun scrupule donc, à écrire un nouvel article sur ce sujet. Allons-y gaiement.
La science évolue, comme vous le savez, c’est fait de chercheurs bossant en laboratoires (surtout), et de journalistes qui tiennent à apporter leur grain de sel histoire d’apporter leur pierre vulgarisatrice quand c’est possible. Parfois en déformant les résultats de la recherche, ce qui donne lieu régulièrement à des articles de mauvaise qualité, avec un titre bien racoleur – « Une noix par jour pour devenir centenaire » –
Depuis il y a eu l’avènement internet, les blogs, les forums, c’est le grand public plus ou moins averti qui a pu s’approprier le(s) sujet(s), en y apportant un éclairage sympathique. Ou pas, car en donnant la parole à tout le monde, on a certes plus de vifs débats, mais également une quantité phénoménale de déchets, à base d’expérience personnelle qui sert de thèse pour toute l’humanité, ainsi un certain Alain (cf Dur à Avaler) peut-il écrire en toute bonne foi pour étayer ses dires :
Je suis affirmatif parce que j’ai modifié progressivement (pendant quelques années) mon mode alimentaire et j’ai été surpris des résultats mesurables que j’ai obtenu…
Ben voyons : « j’ai trouvé mon mode alimentaire optimal et qui me convienne au mieux » = voici ce que tout le monde devrait faire, car c’est sûr ça va marcher ? Allons, allons, un peu plus de pudeur et un peu moins de certitude absolue…
A l’inverse, nous avons une partie du public, visible surtout dans la sphère anglosaxonne : les sceptiques. A priori, je serais tenté d’être dans leur côté, démonter la mauvaise science (debunking bad science), est un exercice sain, qui permet de faire la part des choses entre la science et la pseudoscience. Mais il ne faut pas abuser de toute chose, trop de scepticisme c’est également un poison. La science avance aussi parce que les chercheurs ont une forme de foi. Devenir 100% sceptique c’est ne plus croire en rien, or les chercheurs et la plupart des gens ont besoin de croire en certaines pistes (par exemple : le rôle de tel minéral dans la santé) afin de les rejeter ou de trouver…autre chose en chemin. Le scepticisme c’est l’inertie, on doute de tout, on ne fait plus rien, et on se contente de sniper les gens qui tentent de trouver des solutions. Comme dans un jeu vidéo, activité purement passive.

Ainsi, le scepticisme sur internet, est devenu le passe-temps favori de certains adolescents (ou pas mais c’est tout comme dans la mentalité) qui ont une forte culture scientifique, et qui vont donc se faire plaisir à écrire des articles pour se faire mousser auprès des potes, ou se trouver une nouvelle virilité en étant irrespectueux et détestable à souhait, après tout internet permet de dire ce qu’on ne se permettrait pas en face à face.
Par exemple, la bombe pigmatique de Eugene McCarthy trouve écho par exemple chez Skeptophilia. Chacun se fera son avis entre l’article patient, raisonné, et savamment construit, étayé, sourcé et argumenté du très courtois généticien américain, et l’avis lapidaire, agressif du blogueur skeptophilique. Et puis si le rasoir d’Occam (instrument favori des sceptiques, tiens tiens) ne devait pas s’appliquer, les faits relevés par Macroevolution sont vérifiables et écrasant de par leur nombre…et c’est autant de questions nouvelles qui resteraient en suspens. Pour un peu je dirais que les sceptiques manquent d’amour. Mais le fait de dire ça est le meilleur moyen de passer sous leurs fourches caudines…
Bon, revenons au sujet, les caries. Sur Facebook, via Stephen Guyenet, j’ai suivi l’activité d’un groupe « I fucking hate pseudoscience » qui donne le ton : on va détruire toute la pseudoscience. Et tant pis s’il y a un peu d’authentique science qu’on aurait sous-estimé dans le lot : Tuez les tous, Dieu reconnaitra les siens. Dit différemment, c’est comme jeter le bébé avec l’eau du bain. Si vous parcourez le groupe, on peut même y trouver un article sensé détruire le régime GAPS. Le régime et ses résultats peuvent être contestés mais à l’heure où on redécouvre l’importance de la flore bactérienne dans la santé et l’humeur…mais c’est tellement plus urgent et défoulant de tirer à boulets rouges en faisant fi des articles scientifiques qui ne vont pas dans son sens. Un vrai besoin impérieux. Et puis sur les caries on trouvera ceci ou encore cet article paru dans un blog de dentiste.

Donc, je peux comprendre tout le scepticisme autour de cette question des caries. De là à rejeter les travaux des Mellanby, Edward étant à l’origine de la découverte de la vitamine D ? Il aurait donc fait des études sur les caries en pure perte, et par amour charlatanesque de la pseudoscience ? Je ne voulais pas faire dans l’argument d’autorité, mais n’est-ce pas un peu prématuré de rejeter leurs travaux ? Quant à Weston Price (autrefois président de l’American Dental Association !), il n’a pas l’aura des Mellanby, quand bien même toute son œuvre est fascinante, surtout lorsque l’on connait l’histoire de l’activateur X devenue la vitamine K2 grâce au travail de Chris Masterjohn, histoire racontée avec brio par Kate Rhéaume-Bleue.
Voici quelques précisions supplémentaires :
– la supplémentation en vitamine D peut être inutile et ne pas donner de résultats tangibles si les niveaux de vitamine A et de vitamine K2 sont bas. C’est pour ça que l’article du dentiste tombe un peu à plat, il a l’air d’être satisfait d’avoir remis à leur place les apprentis-sorciers vaudou guérisseurs des caries, des écrouelles et redresseurs de sexes tordus, mais sous silence triumvirat des vitamines liposolubles qui constitue le cœur du débat. Il est commode d’en faire l’impasse. Mais notons que l’auteur reconnait que certaines micro-caries sont réversibles.
– effectivement on ne guérit pas des caries, le terme est sans doute mal choisi. Mea culpa si ça n’était pas évident, l’émail ne repousse jamais, par contre, quand on parle de reminéraliser une carie, c’est une couche de dentine secondaire qui peut combler la cavité. On peut ainsi parler de soigner plutôt que de guérir.
– je ne sais pas ce qui se passe si l’émail vient à manquer au point que la dent se fracture en deux, ou si la dentine primaire a entièrement disparu sous les assauts répétés des bactéries. Probable que la situation soit critique avant d’en arriver là…et les solutions « non-naturelles » des dentistes peuvent être obligatoires, hé oui.
– la prévention est importante…bien sûr. Pas la peine d’attendre que le mal soit fait pour correctement s’alimenter.
– le mécanisme acido-basique est en concurrence avec l’équilibre des vitamines A, D, K2. Je n’ai aucune idée concernant du mécanisme qui serait prédominant sur l’autre. Je ne m’aventurerais pas à avoir une alimentation acide et enrichie en vitamines liposolubles. Même pas pour le sport, même pas pour la science.
Pour résumer : le scepticisme c’est très bien, mais point trop n’en faut. Si je devais me référer à une métaphore footballistique, le sceptique est le gardien de but, il ne doit rien laisser passer. Il est essentiel pour ne pas perdre. D’un autre côté, pour gagner une équipe a besoin de marquer des buts et le sceptique est inutile dans cette perspective, il peut freiner l’enthousiasme de la recherche. La science (et l’humanité) a besoin de chercheurs et de résultats réellement positifs, pas seulement de résultats négatifs rejetés si je puis dire. Et ce d’autant plus dans le domaine thérapeutique, où l’on doit composer avec l’humain et la guérison/soin…je peux comprendre pourquoi le scepticisme a le vent en poupe tant on voit les conneries pseudoscientifiques new-age prendre de l’ampleur, mais une frange irréfléchie et peu curieuse de certains faits et études existantes semble prospérer. Malheureusement être sceptique par principe, goût ou personnalité n’est pas une condition suffisante pour avoir raison automatiquement sur tous les sujets…parfois on peut-être ignorant, malgré tout le vernis et la culture scientifiques issus des études ou de sa formation. Le reconnaitre est un grand pas vers les vraies qualités scientifiques, ce qui inclue d’observer et de se taire. Parfois. Et après on peut éventuellement reprendre les joutes…
Certains confondent scepticisme et croyance adverse, avec une logique du genre « c’est pas prouvé, donc c’est faux ». Adolescent, j’avais évoqué à un grand gastro-enthérologue qui me soignait la thèse du rôle de la bactérie helicobacter pylori dans le rôle des ulcers de l’estomac, et il m’avait ri au nez…
Un assez bon équilibre, me semble-t-il, entre nécessaire scepticisme et excès de plans sur la comète diététique dans le (tout récemment paru) livre de Denise Minger Death by thé food pyramid
Yep, je viens à peine de le commencer. (Amazon.fr en retard sur le .com…)